Les premières décisions rendues par les juges prud’hommaux sur la question de la conventionnalité du référentiel obligatoire n’ont pas tardées à tomber.
Il ressort que les positions sont divergentes ce qui ne peut qu’entrainer une véritable insécurité juridique pour l’employeur.
Le cadre juridique
Afin de sécuriser les ruptures du contrat de travail, une des mesures prévues par les ordonnances Macron de septembre 2017 consiste à instaurer un barème obligatoire à la charge de l’employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Ce barème fixe des montants minimaux et maximaux s’exprimant en mois de salaire et qui varie selon l’ancienneté du salarié et l’effectif de l’entreprise, avec un maximum de 20 mois de salaire pour les salariés ayant au moins 30 ans d’ancienneté.
Le barème figurant à l’article L.1235-3 du code du travail devait s’imposer au juge avec pour double objectif de
- permettre à l’employeur de pouvoir chiffrer le coût éventuel en cas de litige et
- réduire le nombre des contentieux.
La position du Conseil Constitutionnel, du Conseil d’Etat et des Conseils de Prud’hommes
Dans sa décision du 29 mars 2018, le Conseil constitutionnel a validé le barème Macron au regard de notre Constitution. Le Conseil constitutionnel a considéré qu’il ne portait pas atteinte à l’exigence constitutionnelle du droit à réparation pour les salariés et relève qu’en fixant un référentiel obligatoire pour les dommages-intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le législateur a poursuivi un objectif d’intérêt général en renforçant la prévisibilité des conséquences de la rupture du contrat de travail. Il précise que le législateur n’était pas tenu de fixer un barème prenant compte de l’ensemble des critères déterminant le préjudice subi par le salarié étant précisé qu’il appartient au juge d’en tenir compte dans les bornes de ce barème lorsqu’il fixe le montant de l’indemnité due par l’employeur.
En décembre 2017, le Conseil d’Etat s’est également prononcé sur sa conventionnalité et a considéré « qu’il n’est fait état d’aucun moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions », notamment en raison du fait qu’il n’est pas applicable en cas de nullité du licenciement et qu’il appartient toujours au juge de prendre en compte « d’autres critères liés à la situation particulière du salarié ».
Depuis lors, de nombreux recours ont été formés contre ces barèmes d’indemnisation prévus à l’article L1235-3 du Code du travail, en s’appuyant notamment sur le droit international, avec les textes relatifs à l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et la Charte Sociale Européenne.
En effet, les salariés ont tenté de remettre en cause ce barème considérant qu’il était contraire :
– à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT laquelle impose le versement d’une « indemnité adéquate ou toute forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié ;
– et à l’article 24 de la Charte sociale européenne qui consacre le « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée »
Alors que certains Conseils de Prud’hommes ont considéré que ledit barème est conforme à la convention 158 de l’OIT (CPH Le Mans, CPH Caen), d’autres, à ce jour, plus nombreux ont censuré le référentiel obligatoire le jugeant contraire aux conventions internationales (CPH Troyes, CPH d’Amiens, CPH Grenoble et CPH Lyon).
Pour le Conseil de Prud’hommes du Mans (Cons.Prud’h.Le Mans 26.09.2018 n°17/00538), le référentiel obligatoire n’est pas contraire à l’article 10 de la convention 158 qui exige notamment une indemnisation adéquate.
Pour le juge, l’article L.1235-3 du code du travail respecte les principes indemnitaires édictées par la convention 158 pour les raisons suivantes :
-l’indemnité fixée par le barème a vocation à réparer le préjudice résultant de la seule perte injustifiée de l’emploi. Si l’évaluation des dommages et intérêts est effectivement encadrée entre un minimum et un maximum, il appartient toujours au juge de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu’il se prononce sur le montant de l’indemnité dans les bornes du barème.
– le barème n’est pas applicable en cas de nullité du licenciement (violation de liberté fondamentale, faits de harcèlement moral ou sexuel, atteinte à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes etc)
– les autres préjudices en lien avec le licenciement et notamment les circonstances dans lesquelles il a été prononcé sont susceptibles d’une réparation distincte sur le fondement du droit de la responsabilité civil dès lors que le salarié est en mesure de démontrer l’existence d’un préjudice distinct.
En revanche, le Conseil de Prud’hommes du Mans a refusé de se prononcer sur le respect de la charte sociale européenne, considérant que ces dispositions ne sont pas directement applicables par le juge prud’homal.
Contrairement à la position du Conseil de Prud’hommes du Mans, celui de Troyes (Cons.prud’h. Troyes 13.12.2018 n°18/00036) censure le référentiel obligatoire en ce qu’il l’a jugé contraire à la convention de l’OIT et a considéré qu’il viole la charte sociale européenne.
En effet, il estime que le plafonnement limitatif des indemnités prud’homales ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi. De surcroît, il retient que ce barème ne permet pas non plus d’être dissuasif pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié et qu’il est donc contraire à la décision du comité européen des droits sociaux.
Pour le CPH de Troyes, ce barème sécurise d’avantage les fautifs que les victimes et le considère donc inéquitable.
Depuis cette décision, les Conseils de Prud’hommes d’Amiens et de Lyon ont également écarté l’application du barème instauré par la loi Macron.
L’Avenir réservé au barème-Macron
Afin de contourner l’encadrement de l’indemnisation, les salariés et leurs conseils pourraient être tentés pour obtenir une meilleure réparation de se placer sur le terrain de la nullité (en invoquant des faits de harcèlement) ou encore formuler des demandes annexes pour préjudice distinct.
C’est la pratique constatée à ce jour en attendant la position des Cours d’Appel et in fine celle de la Cour de Cassation sur la conventionnalité du barème Macron.
Enfin, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) va devoir également se prononcer sur le dispositif français, le syndicat Force ouvrière l’ayant saisi sur ce point. FO demande au CEDS de dire que le barème mis en place par l’ordonnance du 22 septembre 2017 est contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée.
Affaire à suivre….
In Extenso Avocats